De la conduite légère, du bon sens, des baisers et de ce qui s'ensuit ; "Guigemar" v. 496-534, Marie de France

Publié le par Les rebouteux

Guigemar

Vers 496-534

 

 

Guigemar eime durement :

u il avra hastif sucurs,

u li estuet vivre a reburs.

Amurs li dune hardement :

il li descuevre son talent.

« Dame, fet il, « jeo muerc pur vus ;

mis quers en est mult anguissus.

Se vus ne me volez guarir,

dunc m’estuet il en fin murir.

Jo vus requier de druërie :

bele, ne m’escundites mie ! »

Quant ele l’a bien entendu,

avenantment a respundu.

Tut en riant li dit : « Amis,

cist cunseils serait trop hastis

d’otreier vus ceste preiere :

jeo n’en sui mie custumiere. »

« Dame, fet il, pur Deu, merci !

Ne vus ennuit, se jol vus di !

Femme jolive de mestier

se doit lunc tens faire preier,

pur sei cherir, que cil ne quit

que ele ait usé cel deduit.

Mes la dame de bon purpens,

ki en sei ait valur ne sens,

s’ele trueve hume a sa maniere,

ne se fera vers lui trop fiere,

ainz l’amera, si n’avra joie.

Ainz que nuls le sace ne l’oie,

avrunt il mult de lur pru fait.

Bele dame, finum cest plait ! »

La dame entent que veir li dit,

e li otreie senz respit

l’amur de li, e il la baise.

Des ore est Guigemar a aise.

Ensemble gisent e parolent

e sovent baisent et acolent ;

bien lur covienge del surplus,

de ceo qui li altre unt en us !

 

 

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Guigemar est éperduement amoureux :

ou il aura un prompt secours,

Ou il lui faut vivre contre son gré.

L’amour lui donne du courage :

Il révèle à sa dame ses sentiments.

« Dame, je meurs pour vous ;

Mon cœur est plein d’angoisse.

Si vous refusez de me guérir,

Je ne puis échapper à la mort.

Je sollicite vos faveurs,

Belle dame, ne me repoussez pas ! »

Elle l’a bien écouté

Et lui répond gracieusement,

En souriant : « Mon ami,

Ce serait une décision bien hâtive

Que d’accéder à votre prière :

Telle n’est pas ma coutume ! 

- Dame, au nom de Dieu, pitié !

Ne vous courroucez pas de mes paroles !

Une femme à la conduite légère

Doit se faire prier longtemps,

Pour gagner en valeur et empêcher son amant

De croire qu’elle se donne facilement.

Mais la dame avisée,

Pleine de mérite et de sagesse,

Qui trouve un homme à sa convenance,

Ne se montrera pas trop cruelle :

Elle l’aimera et connaîtra les joies de l’amour.

Avant qu’on surprenne leur secret,

Ils auront bien employé leur temps !

Belle dame, cessons donc ce débat ! »

La dame comprend qu’il dit vrai

Et  sans plus tarder,

Elle lui accorde son amour et il l’embrasse.


Désormais, Guigemar connaît le bonheur.

Ils s’allongent côte à côte et se livrent à de joyeux ébats,

 et ne cessent de s’enlacer et de s’embrasser,

Quant à ce qui s’ensuit, quant aux formalités des autres amants,

Qu’ils agissent comme bon leur semble !



Trad. Laurence Harf-Lancner revue par Sophie Albert.


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V
Le passage qui m'a fait apprécier l'ancien français...De la bien jolie poésie =)Je trouve ça meilleur sans la traduction, mais la tournure finale de la traduction est pas mal.
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