II

Publié le par Rodolphe

II

 

 

                Edouard Legof appuya cinq fois sur le bouton de son étage. Acte qui était aussi exagéré qu’inutile, un ascenseur se souciant peu de la détresse de ses hôtes. Edouard jura d’une voix anormalement aigue tel un adolescent en pleine mue, il n’avait cependant pas l’esprit à trouver cela amusant.

                Il entendit un bruit formidable, la porte du hall d’entrée au quadruple vitrage venait d’être réduite en morceaux. Edouard couina. L’ascenseur fut clôt.

                Peu rassuré dans sa matrice par trop temporaire, il se demanda s’il n’aurait pas mieux fait de prendre les escaliers. Il imagina son poursuivant enjambant les marches quatre à quatre et ses membres se raidirent un peu plus. Edouard jurait encore, il jurait machinalement, à défaut d’appeler à l’aide.

 

                L’ascenseur fit « ding » puis s’ouvrit tranquillement. Edouard se rua incontinent dans le couloir, manquant de justesse de se cogner aux murs. Il n’eut pas l’idée d’allumer le couloir ; bien entendu, il eut un mal fou à insérer sa clef dans la serrure de son appartement. Quand il claqua la porte pour s’enfermer à double tour, il perçut le couinement d’une autre porte que l’on ouvrait, un peu plus loin.

                N’étant pas homme à répéter ses erreurs, son premier réflexe fut d’illuminer l’appartement. Il chercha ensuite le combiné téléphonique mais celui-ci n’était pas sur sa base. Edouard sortit donc son portable pour s’appeler et par là retrouver le combiné via sa sonnerie. Il ne tarda pas à jeter rageusement son portable au sol, l’affligeant de tous les maux imaginables, se sentant particulièrement idiot en plus qu’affolé : s’il n’avait pas appelé les flics plus tôt, c’est justement qu’il n’avait plus de batteries. Soudain, il se figea. Dans le couloir, des bruits de pas se précisaient, terriblement réguliers. Edouard fit face à sa porte, incapable de déglutir. Les pas avaient cessé. On frappa trois fois, lentement, à la porte. Edouard ne se rendait pas même compte qu’il était en apnée.

                Héhooo. Il y a quelqu’un ?  La voix était trop caverneuse pour être humaine, elle avait dit ça en chantonnant. Foutre merde ! Foutez moi la paix ! Malade ! Malade ! La voix s’esclaffa. Les pas s’éloignèrent. Edouard continua à répéter « malade », de plus en plus doucement, jusqu’au bord des larmes.

                Quelques interminables secondes se déroulèrent sans que rien n’arrivât. Il se rendit compte qu’il avait uriné dans son pantalon en velours côtelé, cela eut raison de ses nerfs et sembla donc être le plus grand drame de sa vie. Les larmes furent abondantes.

               

                C’est à ce moment là que la chaîne haute fidélité se déclencha tout seule. Edouard sursauta, gémit d’effroi et se réfugia en reculant à l’opposé de l’appareil, instinctivement, jusqu’à buter contre une fenêtre. Il faisait toujours face à la porte d’entrée.

 

                Show me the way to the next whiskey bar.

 

                Edouard ne reconnut pas la reprise d’Alabama song par The doors mais il remarqua tout de suite qu’il n’avait pas ce titre dans sa discothèque.

 

                And don’t ask why

And don’t ask why

 

                Il ordonna  à sa chaîne de la fermer.

 

                Ho show me the way to the next whiskey bar.

 

                S’il avait été mieux placé dans le living room de son vaste appartement, Edouard aurait pu apercevoir un visage passer furtivement derrière la fenêtre.

 

                And don’t ask why

                And don’t ask why

 

                Volaille angoissée, il tourna brusquement la tête. Des pas retentirent à nouveau dans le couloir, précipités cette fois-ci.

 

                If we don’t find the next whiskey bar.

 

                I tell you we must die

I tell you we must die

I tell you

I tell you

I tell you we must die

 

                Le coup fut puissant, la porte faillit sortir de ses gonds. Edouard péta les plombs. Il se retourna, ouvrit la fenêtre en gueulant de vilains mots et grimpa sur la corniche.

 

                O moon of Alabama

                We now must say goodbye

 

                Debout sur la corniche du quatrième étage, Edouard ne savait que faire. Il entendit la voix caverneuse s’ajouter à celle de Morrison.

 

                We’ve lost our little mama

                And need a whiskey Ho you know why

 

                La voix était toute proche. Edouard tressaillit puis se trouva subitement détendu, il venait de décider qu’il était temps de se foutre en l’air.

Stoïquement, il avança son pied droit dans le vide.

Le souffle coupé, il fut violemment projeté dans son appartement. Abasourdi par la chute, il ne put que relever mollement sa tête pour le voir entrer par la fenêtre. C’était un grand type, la trentaine et le cuir de la veste passés,  la barbe naissante et les cheveux défaits, déjà grisonnants. Il ouvrit sa veste et en extirpa un court cimeterre.  Ses santiags, son jean bleu étaient tout près du pif d’Edouard. L’homme leva son arme. L’impuissant jeune homme, tétanisé, demandait pourquoi du regard.

Parce que ta tête ne me revient pas. Edouard ferma les yeux. Il n’y eut plus de musique.

 

Publié dans Archives ancestrales

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