III

Publié le par Rodolphe

III

 

 

                Je trouve cela un peu poussif que, sous prétexte que je suis étiqueté poète, on me fasse faire la causette à un fennec blanc.  

Christian était assis sur un immense rocher qui se déployait à l’extrémité d’un bras de mer ; tout autour de lui n’était que végétation éparse en lutte avec le minéral, mer à perte de vue et ciel gris au vent qui décoiffe.

                M.Valdor, vous n’êtes qu’un mufle borné. Sachez que je ne suis pas un fennec mais une renarde, et que, à la fadeur de « blanc », je préfère les termes « à la robe immaculée ». Christian se retint de faire un jeu de mots facile. Il sourit. Il remarqua qu’ils avaient eu le bon goût de l’accoutrer de son vieux pull rouge bouffé par les mites et de son jogging gris aux bandes jaunes fluo, sa tenue fétiche de plumitif errant. Il savait parfaitement quelle était l’apparition qui se tenait devant lui avec plus de majesté qu’une autruche en robe de soirée, il avait cependant décidé de jouer à l’imbécile.

                Que me voulez-vous ?

                Votre lignée nous intéresse au plus haut point, vous devriez être fier, à tant faire de bruit, vous avez fini par vous faire entendre. Saviez-vous que votre fils cadet était en route ? Un garçon prometteur.

                Une mouche égarée vint voler au dessus de la renarde qui la happa aussitôt. Elle soupira par les naseaux. Maudits réflexes…

                Laissez mes rejetons en dehors de vos conneries.

                La renarde fit les gros yeux, ce qui lui conféra une tronche pour le moins surnaturelle. Valdor sourit, il vit quel effet aurait produit un lifting sur un canidé. Peu habitué à ce qu’on maltraitât ainsi sa majesté, la renarde bredouilla.

                Je ne comprends pas votre réaction, vous avez passé votre vie à nous invoquer. Valdor se demanda ce qu’il se passerait s’il se jetait dans la flotte. C’est en contemplant le choc des vagues contre la roche qu’il répondit à la renarde.

                Premièrement, vous arrivez un peu tard, je suis en train de crever. Deuxièmement, Philippe est encore trop jeune, trop ébloui par vous pour n’y laisser des plumes. Enfin troisièmement, je trouve votre manière de m’approcher trop triviale, alors je vous demande de nous foutre la paix. La renarde tiqua, ses oreilles se dressèrent. Triviale ? Regardez autour de vous, un coin de Bretagne isolé, désert, hostile à vouloir l’épouser ; que vous faut-il de plus ? Vous ne m’avez pas même offert un coup à boire.

                La renarde pensa qu’il se moquait d’elle, hésita à le lui reprocher ouvertement puis opta pour le snobisme. Nous n’avons pas la même conception de la trivialité M.Valdor.

                Ho que non. Si vous aviez un peu de jugeote, vous sauriez que ce genre de petit îlot hostile dans lequel vous nous avez parachutés n’est appréciable que dans la solitude, le bavardage tue les grands espaces, fennec insensible.

                Il y eut un silence consterné. La renarde baissa les oreilles et montra ses crocs. Stupide poète pinailleur. Valdor s’étira. Bon, vous êtes une messagère, qu’attendez-vous pour faire votre boulot ?

La renarde n’aimait pas cet homme et désapprouvait totalement l’intérêt que les autres lui portait ; ce n’était que grâce à un extrême effort de volonté qu’elle ne lui avait pas dévoré la jambe. Comme si ce dernier lisait dans ses pensées, il se mit à gigoter ses mollets en fredonnant un air country de sa voix chevrotante.

Ça suffit ! Le grognement fit trembler la roche. Christian s’tut.

 

Je viens vous prévenir que de grands bouleversements s’annoncent. Que vous le vouliez ou non, votre famille aura un rôle à jouer, pas des moindres si l’on en croit les autres. Je suis ici pour que vous vous teniez sur vos gardes, prêt à toute éventualité. Ça m’arrache la gueule de l’admettre mais vous êtes l’un des nôtres. Si désormais vous le regrettez, allez vous jeter la pierre quand vous aviez vingt ans, et que vous vous autoproclamâtes comme tel, mais ne tentez pas de fuir comme vous en avez la sordide habitude.

Ne me demandez pas de précision sur le mouvement à venir, vous connaissez notre goût pour le mystère, nous ne dévoilons rien et accueillerons tout. Maintenant adieu.

La renarde fit demi tour et s’en alla à petits pas gracieux. Valdor n’avait cessé de sourire. Décidemment, pour que vous soyez chargée de me livrer ce monceau d’évidences (pour qui est pourvu d’un tant soit peu de flair),  il faut que vous soyez le sage petit toutou de ses seigneurs. La renarde ne put souffrir cette énième impertinence. Elle fit volte-face et se rua, crocs ouverts, sur la gorge de Valdor.

 

Dans le lit d’hôpital, Le vieil homme s’éveilla en sursaut. Il faisait nuit. Ses poumons le brûlèrent sous le coup de la subite et profonde inspiration qu’il avait prise en se redressant. Il toussa longuement, secoué de spasmes, peu à peu, ces derniers devinrent un rire saccadé, d’une indicible joie. Cher monde, j’en connais une qui va se faire passer un sacré savon. Il rit encore, brisant sans gêne le silence de sa chambre..

Publié dans Archives ancestrales

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