IV

Publié le par Rodolphe

IV

 

 

                Il expira la fumée par les narines. Adossé contre sa petite bagnole garée à la lisière de la forêt, le clope se consumant entre les doigts, il attendait. Une légère brise venait soulager son visage, la chaleur oppressait, pesait sur la vie de ce petit coin d’Ile de France. Tout semblait ralenti, fatigué ou fatiguant.

                Un corbeau coassait, d’autres oiseaux peuplaient les arbres de leurs cris d’oiseaux… Jean n’y connaissait rien en ornithologie. A dire vrai, il ne pouvait supporter le chant des piafs qu’associé à la partition discrète du bruissement des feuilles, des craquements d’écorces et d’infimes mouvements souterrains. Sinon, il ne pouvait souffrir l’agression aigue des volatiles, comme une éternelle suite de supplications d’enfants rois ou de revendications territoriales de chiots hargneux. Il n’y avait pour lui point d’oiseau qui soit de bonne augure, leurs chants n’appelant que le mesquin.

                Voilà que je me mets à penser comme Philippe. Il écrasa son clope du talon. Un sifflement joyeux mais peu maîtrisé se rapprochait. Jean vit la mine réjouie de son frère.

                C’est pour ça qu’il fallait que nous nous arrêtions ? Pour ramasser une branche ? Il venait d’apparaître à la lisière de la forêt, toujours chiquement vêtu, appuyant sa majesté sur un grand bâton tortueux et clair. Cette branche, frangin, est une canne qui me semble être un cadeau pertinent pour notre boiteux de père. Et non, mon but n’était pas de dégotter pareil ustensile en nous arrêtant devant ce bois, je l’ai trouvée par hasard, mais d’uriner en pleine nature. C’est un plaisir simple qui me manquait cruellement, ne pouvant m’y résoudre à Sainte Barbe sans craindre une piqûre d’obscur inhibant.. Jean tendit la main. Montre.

                Il soupesa la branche, elle était légère bien qu’elle semblât robuste.

                Beau bâton. Il le rendit à son frère.

                Pourquoi ne profites-tu pas de cette halte pour te promener un peu ? Jean répondit qu’il avait passé l’âge pour ce genre de trucs, cela ne manqua pas de faire pouffer son frère. Jean, ne me prends pas pour un idiot. Ne me prends pas la tête, Philippe. Ils firent claquer les portes de la Panda.

 

C’est assassin d’empêcher un homme de chanter.

                C’était le jingle de France info.

                Il ne fallait pas convier la radio.

                Je viens de l’éteindre.

                Ouais.

                Ils parlaient fort pour se faire entendre, assourdis par l’air qui s’engouffrait violemment dans la voiture.

                La route, les champs qui la bordaient, étaient déserts. Des bois et des lignes à haute tension, un pavillon lointain tentaient d’égayer le paysage. Il y a un sapin accroché à ton rétroviseur. Bordel Philippe, tu étais donc interdit de parole à la clinique ?

                Philippe s’ennuyait, les rares nuages présents dans le ciel étaient des voiles fins, éloignés les uns des autres, effacés dans le bleu, incapables d’être le support d’un quelconque jeu figuratif. Depuis le début du trajet, Jean ne s’était pas défait de son masque sérieux, froid, tacitement irrité. Philippe sourit, depuis son adolescence, Jean ne s’était pas défait de ce masque. Cette constatation l’engloutit dans les voies entrecroisées de ses souvenirs et Philippe sembla subitement triste. Pendant plusieurs minutes, il resta même silencieux.

                Tu as des nouvelles d’Alda ? Jean sortit du rond-point avant de répondre. Quelques-unes, oui, ne t’a-t-elle pas écrit ? Si, plusieurs lettres, je n’ai jamais répondu. Jean sourit. Elle semble aller bien, toujours un peu paumée, toujours aussi combative. C’est ce qui me semblait, Je veux dire,  d’après ses lettres, enfin, pas tout à fait, Alda n’a jamais été une combattante pour  moi, c’est une kamikaze. Et cela te gêne ? je n’ai jamais dit ça. Elle est à Marseille, pour un spectacle. Tu sais, pour les lettres, je n’ai jamais eu l’écriture facile. Elle le sait aussi.

                Tiens, un dromadaire.

                Impassible, Jean pointa du doigt une lointaine tâche rouge vif. Il y a un cirque dans le coin, il a dû s’échapper de son enclos.

                Philippe fut déçu.

Publié dans Archives ancestrales

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Moi je suis d'accord avec le dromadaire. Libérons les animaux de la tyrannie des cirques !
Répondre